François Lapuh – Président de l` ANSCBM (Association Nationale des Soldats Cibles des Balkans-Mémoire) n`est pas un inconnu pour nombre d`entre vous, lectrices et lecteurs qui nous suivez. En effet, nous l`avions interviewé dans les colonnes de notre journal en tant qu`auteur de son livre à paraître prochainement * La bible du monde des AC *, un mode d`emploi pour comprendre les us et coutumes du monde des anciens combattants français mais aussi un ouvrage qui explique et liste toutes les procédures administratives institutionnelles dont celles pour demander l’attribution de la mention *Mort pour la France*.
JRN : Bonjour Monsieur Lapuh, aujourd’hui la rédaction du Journal vous retrouve avec grand plaisir pour parler de votre participation au sein du groupe de travail en charge d’établir la liste de nos soldats morts en opération dont les noms seront gravés sur la pierre du Mémorial Opex à Paris.
Comment êtes-vous devenu membre officiel de la Commission Opex ?
FL : Je n’ai pas été sollicité, j’y ai été inscrit spontanément sur la demande du responsable de la base Opex en ligne, « Mémoire des hommes », site du ministère des Armées qui répertorie nos morts en opération.
Travaillant bénévolement pour la mise à jour de cette base Opex depuis 2012, j`ai été contacté pour m`informer que notre association ANSCBM avait été rajoutée sur la liste des associations et fédérations des anciens militaires qui peuvent aider à mettre à jour et faire les recherches pour établir la liste des noms de nos camarades morts qui seront gravés sur le monument Opex de Paris.
JRN : Qu`est-ce qui vous a motivé à accepter d’en faire partie ?
FL : Ma première motivation fut celle avoir entendu au téléphone, des mamans en pleurs dans des discussions et cela fait plusieurs années que je m’occupe hors de mon activité professionnelle de nos morts en opération. Et L’une de ses mamans de soldats morts en opex m`a dit un jour : Je pensais que vous aviez oublié mon fils. J`avais néanmoins conscience qu’un tel travail de recherches demanderait énormément de temps pour remettre à jour ce qui n’a pas été fait pour nos morts depuis plus de 40 années. Mon travail de recherches et d`investigations qui au final a été intégré dans mon ouvrage « La Bible du Monde des AC » m’a permis de me familiariser avec les procédures, les prises de contact institutionnelles et administratives. Des milliers d’heures de travail en perspective pour mettre à jour la base Opex mais autant faire le travail à 100 %. J`étais motivé dans le respect de mes frères d`armes à ce qu’il n’y ait aucune erreur de grade, de nom, de date de naissance et ainsi établir une liste digne et respectueuse.
Mon autre motivation fut un triste constat, celui de l`absence des associations des anciens combattants pourtant existantes depuis des années dont aucune ne s’est dit « il faudrait penser à demander les mentions MPF ou non pour nos soldats morts en Opex ».
Enfin ma plus grande motivation a été tout simplement humaine. Ancien militaire, je suis rentré de mes Opex, mais j’aurai pu y rester et nombreux sont les anciens qui pensent la même chose que moi. À chaque retour d’Opex, nous avons perdu une connaissance, un camarade. Pour ma part j’ai perdu quatre camarades durant mes Opex dont un très proche qui était à mes côtés durant 5 mois en Bosnie.
JRN : Justement s`agissant des associations d`anciens combattants connues et reconnues institutionnellement, nous savons que certaines ont été sollicitées par la Secrétaire d`État G. Darrieussecq pour participer aux travaux d`établissement de la liste Opex.
Qui sont-elles et comment ont-elles agi au sein de cette commission ?
FL : Elles sont au nombre de six :
– Fédération nationale André Maginot (FNAM) : Amiral (2S) Henri LACAILLE, Président fédéral – 24 bis boulevard Saint-Germain – 75005 Paris ;
– Fédération nationale des anciens des missions extérieures (FNAME-OPEX) : Monsieur Laurent ATTAR-BAYROU, Président national – 178 rue Garibaldi – 69003 Lyon ;
– Fédération nationale des combattants volontaires (FNCV) : Monsieur Alain CLERC, Président fédéral – 9 rue Mazagran -75782 Paris Cedex 10
– Association nationale des participants aux opérations extérieures (ANOPEX) : Colonel Jean-Pierre PAKULA, Président de l’association – 44 avenue de Villiers – 75017 Paris ;
– Union nationale des combattants (UNC) : Général (2S) Pierre SAINT-MACARY, Président général – 18 rue de Vézelay – 75008 Paris ;
– Association nationale des parents et amis des victimes des interventions de paix dans les Balkans (ANPAVI) : Monsieur Jean-Claude CARREAU, Président de l’association – Centre mondial de la Paix – Place Monseigneur Ginisty – 55100 Verdun.
Aucune de ces associations citées n’a pris le temps de participer à aider dans ce travail titanesque de recherches pour statuer les mentions de leurs camarades tués en Opex. J’ai personnellement contacté quatre d’entre elles, sans-avoir reçu aucune réponse en retour.
Ayant des relations dans ces dites associations, j’ai appris que même au niveau départemental, leur présidence n’a jamais informé officiellement ses membres sur la sollicitation ministérielle de participer au travail de recherches d’informations sur nos morts pour établir la liste des noms à graver sur le futur Monument à Paris.
JRN : Pouvez-vous expliquer s`il vous plait à nos lectrices et lecteur en quoi précisément a consisté votre travail de recherches d`informations ?
FL : Le responsable de commission au sein de la Direction des Patrimoines, de la Mémoire et des Archives (DPMA) du ministère des Armées. m’a envoyé la liste de nos morts MPF en fichier informatique pour gravure sur le monument, liste que j’avais déjà reçu qui a été jointe sur papier au courrier de la secrétaire d’état. J’ai recontrôlé tous les noms, (il a été mis en place un système de couleur pour ceux à vérifier dont nous n’avions pas de documents officiels),les décrets ont été vérifiés, et pour chaque suspicion d’erreur, ou le fait que nous n’ayons pas de documents officiels pour confirmer l’écriture des noms ou grade ou naissance ou date de mort, j’ai contacté toutes les unités où étaient engagés ces soldats. J’ai contacté toutes les mairies de naissance ou de décès, afin de récupérer les actes de naissance ou décès pour confirmer les écritures des noms. J’ai fait appel sur internet à tout mon réseau d’anciens militaires, jusqu’aux Etats Unis. Ces derniers ont enquêté et regroupé des informations. Certains se sont déplacés sur les tombes de nos morts pour vérifier la gravure de la pierre tombale.
Pour les légionnaires, j’ai contacté le commandant Guimard Chef du Bureau des Anciens et d’Aide à la Reconversion de la Légion Étrangère basé à Aubagne qui a fait avec ses collaborateurs de l’excellent travail de recherches et de confirmations de mes enquêtes.
J’ai contacté également des régiments en direct, le Service Historique de la Défense de Caen (qui m’a donné accès à des dossiers dans les 48 heures vu l’urgence), idem pour le Centre national des archives du personnel militaire de Pau ainsi que les chancelleries des régiments.
Le pire pour une recherche est de recevoir un livre d’une unité militaire pétrolière qu’il m’a fallu lire trois fois pour enfin comprendre comment cette unité militaire a été dissoute et renommer afin de vérifier dans quelle unité était le militaire décédé
J’ai aussi reçu l`aide de Monsieur Frédéric EMPEREUR un des membres de notre association, qui m`a aidé dans des recherches sur internet en y retrouvant des lieux de naissance, décès, grade, commémoration, plaque régimentaires et les tombes. Un énorme travail pour regrouper toutes ses informations officielles et parfois non officielles. Lorsqu’il y a eu suspicion entre les résultats trouvés sur internet et les miens, je relançais une recherche de zéro jusqu’au pays de naissance ou lieu de vie du soldat concerné, et je réactivais une enquête nationale envoyée à des centaines d’anciens militaires sur le réseau.
Pour les morts du Drakkar 1983 j’ai mis à contribution l’association des familles du Drakkar, ainsi que des anciens présents sur place.
En dernier recours pour deux de nos soldats, j’ai contacté la famille, malgré le souhait de ne pas vouloir raviver les douleurs du passé pour ces familles. J’ai dû quand même me résoudre à le faire par nécessité envers et contre le sentiment de tristesse ressentie en retour.
Vous savez, quand vous êtes arrivé au bout de huit années de travail dont plus de trente mois tous les jours, soit plus de 6000 heures de travail pour nos morts, vous ne pouvez pas sortir indemne de ces engagements et investissements personnels.
JRN : Pour finir cette interview, acceptez-vous de nous confier votre ressenti personnel sur le Mémorial Opex.
FL : Il existe en France des centaines d’associations d’anciens combattants, et l’erreur a été de sélectionner des associations qui n’ont pas donné une minute de leur temps pour aider à cette mise à jour de la liste des noms pour le monument Opex. Les membres de ses associations n’ont même pas été mis au courant de cette action par leur direction.
Pour le lieu qui a été décidé pour ce monument, ce n’est pas sa place, le monde des anciens combattants aurait dû être consulté pour l’emplacement.
L’origine de ce monument était d’ériger un monument pour tous nos morts en Opex, qu’importe qu’ils soient MPF ou NON MPF, ce devait être un monument Opex et non un monument pour les morts pour la France en opération extérieure. Les noms de nos camarades MPF sont à graver sur les monuments des communes, et pour nombre d’entre eux c’est déjà fait ! Je pense que cette décision aura des conséquences douloureuses pour les familles ! Imaginez-vous une famille de soldat NMPF se rendant à Paris devant le monument et ne voyant pas leur fils ou autres inscrit sur les plaques ? Elle se sentira forcement touchée douloureusement.Un soldat mort en Opex n’est pas un soldat que l’on va différencier selon la cause de sa mort.
L’absence du rôle associatif est tout à fait normale. Les associations d’anciens combattants ne savent pas le nombre exact de nos morts, elles ne sont pas créées pour la mémoire directe, elles sont créées pour rassembler des hommes et femmes qui était en mission au même endroit, elles ne sont pas informées correctement des règles pour nos morts, comme pour un MPF ! Car un soldat n’est jamais MPF à sa mort si une demande n’a pas été faite à l’ONACVG par exemple.
Plus de 100 ans de parades pour tant d’associations…, pensez-vous vraiment qu’elles ont le temps de s’occuper de nos morts ?
Un Colonel de la DMD du sud-ouest m`a dit un jour :
« Le monde des anciens combattants c’est : Un repas, une sortie, une parade, ils font la fête, mangent et boivent et ensuite ils rentrent chez eux ».
Cette réalité n’est pas à prendre en généralité, il existe encore des anciens combattants respectueux de leur passé commun, toujours prêts à aider leurs camarades dans la détresse suite à leur retour dans la vie civile et la perte de repères qu’il engendre. Ceux-là agissent dans l’ombre, concrètement et sans publicité.